Les antidouleurs opioïdes représentent-ils une menace en France Crise des opioïdes

By: Astolpho Frappier

Les antidouleurs opioïdes représentent-ils une menace en France Crise des opioïdes

Les antidouleurs opioïdes: une menace en France?

En France, les antidouleurs opioïdes font-ils autant de ravages qu’aux États-Unis? Alors qu’ils sont destinés à soulager la douleur, les opioïdes antalgiques causent chaque année un nombre croissant de décès outre-Atlantique. En 2017, 72 000 personnes sont décédées d’une overdose, dont les deux tiers étaient dus à une utilisation abusive de ces médicaments à base d’opiacés naturels ou synthétiques. "Une urgence de santé publique", a déclaré le Président Donald Trump, qui a lancé un plan d’action pour lutter contre ce fléau. Mais qu’en est-il en France? Faut-il craindre une crise sanitaire similaire? Quels sont les risques liés à la consommation d’opioïdes? Doit-on renforcer l’encadrement de la prescription d’antidouleurs? Faisons le point.

  1. Antalgiques opioïdes: de quoi parle-t-on?
  2. La consommation d’opioïdes est-elle en hausse?
  3. Vers une crise sanitaire?
  4. Faut-il renforcer la vigilance?
  5. Quels sont les risques?
  6. Quelle prise en charge?

La douleur ne tue pas. Les antalgiques opioïdes, parfois oui. Les Etats-Unis sont confrontés à cette réalité depuis une vingtaine d’années. Chaque jour, les antalgiques dérivés de l’opium sont responsables de 175 décès, sans compter les millions de personnes dépendantes. Une tragédie qui pourrait-elle se reproduire en France? Bien que la consommation de ces substances augmente dans notre pays, rien ne laisse présager une crise similaire à celle qui ravage les Américains. Néanmoins, la vigilance s’impose pour prévenir tout dérapage.

Antalgiques opioïdes: de quoi parle-t-on?

On distingue deux catégories d’antidouleurs: les non-opioïdes, comme le paracétamol, l’aspirine et les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), et les opioïdes, qui regroupent tous les dérivés de l’opium, qu’ils soient naturels ou synthétiques.

Les opiacés font référence aux antalgiques d’origine naturelle, tels que la morphine et la codéine, extraits du pavot. À ceux-ci s’ajoutent les opioïdes semi-synthétiques ou synthétiques, tels que le fentanyl, le tramadol ou l’oxycodone, explique le Pr Serge Perrot, spécialiste de la douleur à l’hôpital Cochin et ex-président de la Société française d’étude et de traitement de la douleur (SFETD).

Les antalgiques opioïdes sont utilisés pour gérer la douleur aiguë, notamment pour soulager les patients atteints de cancer ou ceux qui ont subi une intervention chirurgicale.

Au total, il existe six molécules opioïdes: la codéine, la morphine, la poudre d’opium, le fentanyl, le tramadol et l’oxycodone. Toutes ces molécules ont le même mécanisme d’action, activant les récepteurs opioïdes, en particulier le récepteur μ, entraînant des effets indésirables similaires.

Ces molécules sont généralement classées en deux niveaux: le niveau 2 dit faible, comprenant la poudre d’opium, la codéine et le tramadol, et le niveau 3 considéré comme fort, regroupant la morphine, l’oxycodone et le fentanyl.

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Cependant, ce classement est controversé. Il a été établi en 1986 par l’Organisation mondiale de la santé, en se basant uniquement sur la prise en charge de la douleur causée par le cancer. Il ne s’applique pas à d’autres situations et peut laisser penser que les molécules de niveau faible sont sans danger, alors qu’elles peuvent également causer des effets indésirables graves si elles sont prises à des doses élevées, explique Nicolas Authier, chef du service de pharmacologie médicale du CHU de Clermont-Ferrand et membre de l’Observatoire français des médicaments antalgiques (OFMA).

Comme le disait le médecin Paracelse au XVIe siècle, c’est la dose qui fait le poison. Cette observation est toujours pertinente, notamment face à la crise majeure aux États-Unis causée par les opioïdes.

La consommation d’opioïdes est-elle en hausse?

La consommation d’antalgiques opioïdes a augmenté au cours de la dernière décennie, indique l’Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé (ANSM) dans un rapport publié en février 2019.

En France, environ 10 millions de personnes prennent des opioïdes faibles et 1 million des opioïdes forts.

Presque tous les produits sont touchés par cette augmentation. Le tramadol est l’opioïde le plus consommé en France, suivi de la codéine et de la poudre d’opium. La morphine reste l’opioïde fort le plus prescrit, mais l’oxycodone, l’un des principaux responsables de la crise américaine, est en train de le rattraper, précise Nicolas Authier, président de la commission des stupéfiants et des psychotropes à l’ANSM.

L’ANSM attribue cette augmentation à "l’amélioration de la prise en charge de la douleur". Depuis mars 2002, le droit de recevoir des soins visant à soulager la douleur est reconnu par le code de la santé publique.

Cependant, ces chiffres doivent être mis en relation avec une autre réalité plus inquiétante: l’augmentation des intoxications et des décès liés à l’utilisation d’antalgiques opioïdes, souligne l’ANSM.

Entre 2000 et 2017, l’Observatoire français des médicaments antalgiques a observé une augmentation de 167% des hospitalisations liées à une intoxication accidentelle aux opioïdes, ainsi qu’une hausse de 146% des décès entre 2000 et 2015. Chaque année, plus de 500 décès sont attribués aux médicaments opioïdes en France, faisant des opioïdes la principale cause de décès par overdose, devant l’héroïne.

Vers une crise sanitaire?

À ce jour, il n’y a pas de crise majeure liée aux opioïdes en France, comparable à celle observée en Amérique du Nord, conclut une étude de l’OFMA publiée en septembre 2018, qui examine la prescription des antalgiques en France entre 2004 et 2017.

Serge Perrot estime que la France est moins exposée que les pays anglo-saxons pour plusieurs raisons. Les médecins français ont toujours été prudents dans leur prescription de morphine. En tant que pays latin, la douleur fait partie de notre culture, ce qui pose d’ailleurs un problème car de 30 à 40 % des patients atteints de cancer qui devraient recevoir de la morphine n’en ont pas.

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De plus, la prescription et le renouvellement des ordonnances d’opioïdes sont strictement encadrés en France, avec une limite de 28 jours, ce qui permet de prévenir le trafic et la falsification d’ordonnances.

Les ordonnances sécurisées concernent les opioïdes forts, classés comme stupéfiants, nuance Nicolas Authier. Ce n’est pas le cas pour les produits de niveau inférieur. Nous manquons de recommandations sur l’utilisation appropriée des opioïdes faibles pour la prise en charge de la douleur aiguë et chronique. Il est actuellement possible d’obtenir du tramadol ou tout autre opioïde faible par renouvellement d’ordonnance pendant douze mois sans consulter son médecin traitant.

Cependant, la consommation d’opioïdes de niveau 2 est restée relativement stable et n’a pas atteint le niveau de consommation du Di-Antalvic, dont le retrait définitif remonte à 2011. Bien qu’il y ait une surconsommation, le Di-Antalvic n’a jamais posé de problème en France, tandis que le tramadol, devenu l’opioïde le plus consommé toutes catégories confondues, est désormais le leader des overdoses, souligne l’expert de l’ANSM.

La tendance est préoccupante, avec des indicateurs qui se détériorent d’année en année, souligne le Pr Authier, qui plaide en faveur d’une meilleure évaluation des risques. Pour éviter une crise sanitaire, nous devons dès maintenant renforcer la prévention primaire et secondaire.

Faut-il renforcer la vigilance?

Deux facteurs plaident en faveur d’une vigilance accrue, selon Nicolas Authier.

  • Tout d’abord, la généralisation de la chirurgie ambulatoire, où des patients rentrent chez eux le jour même et se retrouvent seuls pour gérer leur ordonnance d’antidouleurs opioïdes. Comment s’assurer que ces médicaments prescrits ne seront pas utilisés ultérieurement en automédication, en cas de douleur soudaine par exemple?
  • Ensuite, il y a les personnes présentant une vulnérabilité mal diagnostiquée ou mal soignée. Nous savons que les patients atteints de troubles psychiatriques sous-jacents, tels que l’anxiété, la dépression ou les troubles de l’humeur, sont plus susceptibles de mal utiliser leur traitement antidouleur. Ils peuvent être enclins à l’utiliser comme une béquille pour soulager leurs angoisses, témoigne-t-il. Cependant, ces opioïdes ne sont ni des anxiolytiques, ni des sédatifs, ni des antidépresseurs.

Pour prévenir les abus et les complications graves liées à la prise d’antidouleurs opioïdes, notamment les opioïdes faibles les plus consommés, des mesures doivent être prises. Informer systématiquement les patients sur l’objectif des antidouleurs opioïdes, limiter la durée de prescription pour évaluer les risques et personnaliser davantage le choix des traitements, telles sont les mesures proposées par le Pr Authier.

Selon Serge Perrot et Nicolas Authier, les antidouleurs opioïdes sont de très bons médicaments, à condition d’être utilisés correctement. De la prescription par le médecin jusqu’à la consommation par le patient, la formation et l’information sont essentielles pour prévenir les abus.

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Quels sont les risques?

Une caractéristique des antalgiques opioïdes est leur potentiel addictif, tant sur le plan psychique que physique, en cas d’utilisation abusive ou excessive, pouvant conduire à une overdose accidentelle.

Un autre risque est l’addiction. Il s’agit des patients qui n’ont jamais consommé de drogues, mais qui perdent le contrôle de leur consommation et deviennent dépendants. Leur obsession est de retrouver les effets initiaux du produit, comme l’euphorie, tout en "éteignant" les symptômes de manque (douleur, stress, etc.). Cela ne résout d’ailleurs pas le problème de la douleur à l’origine de la prescription de l’opioïde, bien au contraire. L’utilisation à long terme de produits morphiniques peut favoriser la chronicité de la douleur, entraîner un cercle vicieux et même provoquer des douleurs diffuses, de manière paradoxale, précise le Pr Perrot. C’est pourquoi ces médicaments opioïdes sont principalement réservés à la gestion de la douleur aiguë, tandis que la douleur chronique nécessite une approche pluridisciplinaire.

Même si la personne parvient à se sevrer du produit, une empreinte subsiste dans le cerveau, la prédisposant à une rechute en cas d’événement stressant. Le cerveau se rallumera sur la molécule de prédilection, explique le Pr Authier. Il y a une dimension irréversible dans l’empreinte laissée par ces substances. Comme pour toute drogue.

Enfin, plus fréquente que l’addiction, il y a la dépendance physique. Le produit perd son efficacité, ce qui pousse le patient à augmenter les doses. Ainsi, un opioïde faible peut atteindre des doses qui le rapprochent d’un opioïde fort, constate l’addictologue. Cependant, tous les patients ne développent pas cette tolérance, ce qui rend également l’arrêt du traitement compliqué.

Quelle prise en charge?

La prise en charge passe par l’arrêt du traitement. Si le patient n’est pas addict, le sevrage consiste en une réduction progressive de l’opioïde concerné, étape par étape. Cela nécessite du temps.

En cas d’addiction, deux options sont possibles.

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